L'ordre de l'étoile de Tohl

     J'ai failli ne pas la voir, c'était dans un virage arboré, le chemin de terre mal empierré était bordé par des herbes hautes et un fossé peu profond. Elle trônait mal garée de biais le nez vers le talus pour ne pas descendre la pente raide du chemin qui menait vers un autre nulle part.

D'un vieux bleu électrique agrémenté de rouille par endroit le petit attelage deux temps semblait posé là comme par enchantement. la selle biplace avait souffert et l'absence de cache tonneau offrait au regard un sac en toile de jute à demi plein d'herbe.

Ce n'est qu'en me garant à côté que je vis un fichu coloré tourner la tête un peu plus loin, inquiet d'être distant de sa monture. Une femme quinquagénaire s'extirpa du fossé, armée d'une serpe et d'une brassée de pissenlit. La blouse était propre, la jupe quelque peu surannée, mais le regard, le regard gris comme un ciel d'hiver fixait l'attention. La vie au grand air avait marqué son visage harmonieusement, un franc sourire barrant son visage quand elle s'aperçut que mon attention allait surtout au side-car. Je la complimente sur la beauté de son attelage dans un rustikh hésitant et m'informe du chemin jusqu'au prochain village. Ça l'amuse que je puisse avoir envie de me balader par chez elle sur un véhicule aussi spartiate que le sien. Elle trouve que c'est bien une idée d'homme, comme si on avait toujours quelque chose à prouver.

Elle me conte l'histoire de son homme, parti il y a des années pour défendre son pays de la guérilla fomentée par les bordures. Il fallait le faire, pour l'honneur, parce qu'ils étaient de l'ethnie rustikh d'origine. Et puis le temps est passé, les combats d'arrière garde se sont succédés, et l'argent bordure a pourri toute la vallée. Alors la plupart des gens ont pliés, seuls ceux venus ou restés dans les montagnes perpétuent les traditions. Ce sont les indigènes du pays, et leur réserve est de plus en plus oubliée de tous.

Elle a serré les lèvres un moment en fermant la main sur un objet dans la poche de son tablier avant de me la tendre et de l'ouvrir. C'est tout ce qu'elle voulait garder de lui, ce qu'ils lui avaient envoyé à la poste du canton quand son cadavre avait été rapatrié au village. La main était ridée, pleine des travaux des champs et de la maison. Et au milieu le ruban froissé rouge à rayures blanches tranchait avec son agrafe et son étoile émaillée noire. Ce n'était pas la plus haute décoration du pays, mais c'était la seule qui distinguait uniquement la bravoure au combat. Elle n'était plus attribuée depuis que le pays ne faisait plus la guerre mais "maintenait la paix" aux quatre coins du globe avec la bénédiction des bordures . Une autre décoration moins belliqueuse lui avait été substituée. On était passé d'une absurdité à une autre selon mon interlocutrice.

Alors, sans un mot, elle me salua d'un sourire, noua son sac d'une ficelle tirée de sa poche puis kicka la moto.

Je l'ai regardé partir dans un nuage de fumée et de poussière fleurant bon l'huile vers cette route qui ne menait pas plus quelque part. C'était le printemps au rustikhistan.





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