Ambition

     La route était pourrie, j'avais vraiment peur pour la bécane. Les suspensions, les pneus, ça montait, la côte était rude, les cylindres chauffaient. Ça faisait un moment que le chemin n'était plus indiqué sur les cartes pondues par les grattes papiers de la capitale, et je parle pas d'un éventuel gps que j'avais pas et qui de toute façon aurait été paumé dans ce désert agricole magnifique au milieu de nulle part.

La veille il avait fallu que je décide. Sortir de la nationale, quitter les certitudes, commencer le voyage et quitter le confort des ballades balisées par les réseaux sociaux. Dans les champs au bord de la route les femmes travaillaient d'arrache pied pour optimiser les longues journées et le magnifique soleil de cette arrière saison. Les hommes étaient aux machines dans le meilleur des cas, absents le plus souvent, victime de la chute du patriarcat et incapables de se tailler une place.

J'avais réduit le paquetage au maximum histoire de soulager le châssis, aussi parce qu'avec le temps l'épure vient d'elle même. Depuis hier plus d'alcool, plus de luxe pour anxiolyser le quotidien, plus que les cailloux sur la route, une moyenne à faire pleurer un cyclotouriste... Et puis c'est venu d'un coup, le nez cramé par le soleil, la marque des lunettes, les ongles noirs de cambouis. J'étais bien, même sans solution d'hébergement pour le soir, même sans restauration rapide au bord de la route.

J'ai fait des bornes à pince avec mon bidon tôlé de 5 litres pour trouver un fond d'essence plombé chez une paysanne du coin au sourire ravageur, j'ai réparé un pneu arrière qu'aimait pas le silex de la caillasse de la route. Tout avait du goût, plus grand chose n'était grave, il n'y avait plus de sentiment de solitude
, peut être que j'étais devenu libre.

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