Pour la petite histoire....


     C'était il y a quelques années en février , y a pas si longtemps que ça pourtant. Je cherchais un chemin vers autre chose, j'avais croisé la route d'écervelés en Bretagne lors d'une fin de semaine particulièrement humide et j'avais convenu de les retrouver dans les Vosges.

Cette année là le froid nous était tombé dessus comme un coup de merlin sur une bûche bien sèche, pas encore naturalisé rustikh j'arborais encore les couleurs ligériennes sur l'attelage. Celui ci tournait bien, pas de neige ni de verglas au départ mais un vent glacial venant du nord-est à vous faire pleurer derrière les lunettes. J'ai mis deux jours pour y aller, par des températures négatives à faire respecter nos anciens qui avaient fait le tour de l'Europe dans des conditions dantesques il y a un peu plus d'un demi siècle.
La moto faisait son boulot, mais j'étais mis à rude épreuve, les choix vestimentaires effectués n'étaient pas satisfaisant, il ne suffisait pas d'adopter la technique de l'oignon multicouches. Empesé comme un scaphandrier, j'avais froid et je transpirait.

La nuit venant je me suis jeté dans le premier hôtel repéré, à l'ombre d'une croix de Lorraine de béton grande comme un immeuble, aussi moche qu'arrogante, témoignant de la vision politique d'un charlot qui avait pensé pouvoir réécrire l'histoire et épargner pour son pays les conséquences du colonialisme et de la mondialisation.
Après un bon quart d'heure sous une douche qui avait bien du mal à me réchauffer, je suis passé à table en ruminant ce qui me restait à faire comme route le lendemain, content tout de même d'avoir choisi de me requinquer et projetant de me venger au retour.

Le lendemain, bénéficiant de la gentillesse de l'aubergiste assez amusé par mon périple et le véhicule employé pour celui-ci, je sortais du garage de l'hôtel, revigoré par une bonne nuit de sommeil, taillant la route vers un thermomètre qui s'effondrait de loin en loin à mesure que je me rapprochait de ma destination.

J'ai trouvé mon chemin sans trop de difficultés, accueilli avec toute la simplicité et la gentillesse proverbiale des indigènes de l'étape et les grands enfants rencontrés précédemment. La soirée a été mémorable comme à l'accoutumée, j'ai vu la bière pailleter dans mon quart, nous contraignant à passer à du distillat. A moins dix huit, les boissons fermentées ne tiennent pas la route.

Au petit matin la campagne était magique, tout comme la lumière, un copain photographe en aurait fait des merveilles à regarder au coin du feu plus tard. Il parait que dans la nuit le thermomètre est descendu à -20°, alors le matin pour conjurer le sort on a lancé nos moteurs, les seuls ayant eu des soucis étant ceux qui avaient des bécanes de conception récentes. Ma bonne grosse russe pétarada du premier coup. Comme quoi c'était vraiment fait pour ça.

L'après midi, tout le monde est parti se ballader, me laissant en compagnie du silence et de Rabelais que j'affectionne tant. Non pas que je n'aime pas la compagnie, mais 1500 bornes en trois jours, ça me suffisait, et puis je reste un plantigrade malgré tout. Ils sont rentrés à la tombée de la nuit, avec des anecdotes verglacées à l'envie, et une tornade de bonne humeur, d'odeur de cuisine et de vin chaud a envahit les lieux. On a pas forcément veillé tard, on se lève facilement tôt, on étaient plutôt tranquillement heureux de ce qu'on vivait.

Après une nuit bercée de ronflements et de conversations métaphysiques tardives, je faisais mon paquetage rapidement, m'enfilait un café et faisait péter le bicylindre, bien décidé de venir à bout du trajet en une seule fois. Je rassurais tout le monde en leur disant qu'au vu du temps, j'allais m'arrêter à mi chemin, et j'étais parti pour 700 bornes.

Le matin, le vent a été éprouvant, un vent comme on en a pas souvent dans l'ouest, un truc que t'as l'impression qu'il est soufflé par les esprits sibériens, un qui te fait pleurer, qui te gèle la morve au nez, qui te fait regretter des bottes fourrées et une couverture de survie en guise de plastron. Parce qu'avec mon gabarit, les pares brises ne me protègent pas la tête et m'envoient des turbulences à m'en donner des acouphènes et des céphalées. Du coup le remède est pire que le mal.

En arrivant sur la Loire, le vent a cessé, et c'est la neige qui a pris le relais . Les autochtones n'ayant aucun entrainement, la circulation devenait dangereuse, et j'ai choisi de prendre l'autoroute, même si ma trapanelle n'avait pas les performances d'un avion de chasse. Aujourd'hui on s'en foutait un peu, et personne ne faisait le malin. Et puis la neige s'est intensifié, et puis l'autoroute n'a plus été déneigé, et puis le soir est venu. Curieusement je n'avais plus froid, à moins dix, j'étais bien, même si la neige s'accumulait régulièrement sur les lunettes du casque.

A une halte pour faire de l'essence et pisser, j'ai été interpellé par trois gendarmes sur le parking qui s'interrogeaient en fait sur ma destination. Ils prirent un air ahuris en faisant le constat qu'il me restait 300 kilomètres à faire et me proposèrent un café tiré du thermos et une part de cake maison réalisé par une épouse bretonne. Ils hésitaient à rentrer en Armorique au vu de l'enneigement, ma goguenardise les a fait reprendre le volant.

Avec le soir, les processions de voitures sur l'autoroute avançaient paisiblement, pas de cascadeur pour te doubler, restait à maintenir une bonne distance de sécurité pour s'épargner les passionnés de l'ABS.

Le sommet de l'extase est arrivé quand j'ai quitté l'autoroute vers 22 heures après 14 heures de route pour faire les dix dernier kilomètres qui me séparaient de la maison. Pas un chat, pas un bruit, pas de trace de roues après le petit péage de cambrousse. Le grand blanc, la lumière des phares, le tout rythmé par le bicylindre à bas régime et le bruit feutré des pneus dans la neige.
Je me suis juste arrêté pour souffler un grand coup avant d'entamer la grande descente en dévers qui mène au village, en première, tout au frein moteur, avec arrivée comme une fleur sous le garage.

C'était bon, ça avait un goût exquis, le goût de trucs qu'on a toujours un mal de chien à raconter mais qui ne prennent pas une ride au fil des ans dans les recoins de la mémoire. A ce jour c'est sans doute ma plus belle ballade moto.

Commentaires

  1. C'est beau, merci Pascal, tu es un vrai poète, de chez moi, j'ai entendu les crissements de tes pneus sur la neige.
    A bientôt

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