Graine de passion


     Il faisait un cagnard d'enfer, on goûtait un peu du vent du large du haut des remparts de Saint Malo par un été magnifique des seventies, l'été le plus chaud connu de ma courte vie.Cet été là, le ruisseau près de la maison n'était plus qu'un mince filet d'eau.

Du haut de mes six ans, polo criard et bermuda collants de transpiration, j'usais la gomme de mes baskets de toile sur les pavé de la ville des corsaires, scrutant l'horizon en quête d'un vieux gréement que la mode n'avait pas encore remis au goût du jour.

Autour de nous, les touristes en mini jupes et maillots moulants affublés de lunettes de soleil toutes plus extravagantes les unes que les autres bruissaient de concert, inquiétant ma mère qui veillait à ce qu'ils ne séparent pas sa ribambelle de petits paroissiens en herbe. Mes soeurs harcelaient papa pour qu'il les hisse sur le muret afin qu'elles puissent profiter de la vue sur le port. Mon père transpirant réajustait sa casquette plate écrue et les soulevait de bon coeur comme si elles n'étaient pas plus lourde qu'un panier à bouteille vide. Il les tenait d'une main gardant l'autre dignement dans la poche de son pantalon de toile beige en campant paisiblement sur ses espadrilles. sa chemise bleue étaient retroussée sur ses avant bras et je sentais le bracelet métallique de sa montre quand il passait sa main dans mes cheveux.

C'était un de ces week-end prolongé d'été que nous partagions ensemble loin du train-train quotidien, une de ces trop rares expéditions chez des cousins loin de l'oeil du patriarche. Une récréation avant que nous ayons l'âge d'être inscrit en colonie de vacances ou en camps scout pour l'été. ça me changeait, c'était curieux.

Je les ai entendu avant de les voir, les échappements libres me faisait penser aux tracteurs de chez nous, un barouf du diable, à se demander ce qui allait surgir. Papa les a vu arriver en premier, il a mis sa main en visière et froncé les sourcils devant ses  quatre ou cinq machines qui ont déboulé le long du port et se sont garées au pied des remparts.
Harnachées comme des barbares en fuyant les hûns, les motos se sont vites désolidarisées des pilotes aux casques à paillettes et barbes fournies qui se sont engouffrés dans la ville peut être en quête de la rue de la soif. Ils étaient tatoués au rouleau, et leurs bottes comme leurs jeans à pattes d'éléphants étaient aussi sales que leur bécanes étaient rutilantes.

J'ai tiré la robe fleurie orange marron et blanche de ma mère pour qu'elle bouge ses sandales à semelles compensées vers la sortie de la ville, prétextant d'aller faire un tour du port, voir les bateaux. J'étais incapable d'expliquer ma curiosité, ma fascination pour les motos que je voulais voir. J'ai fini par avoir gain de cause, trainant sur le parking au point de me laisser distancer et de me faire rabrouer sans grande conviction par mon père.

Elles étaient là, sur leurs béquilles latérales, avec leurs réservoirs oranges, jaunes, vert pétant. Il y avait des bicylindres anglais, des têtes de poëles américains et du bicylindre à plat bavarois. Les fourches étaient longues comme un jour sans pain, les sissy-bar torsadés jusqu'au ciel. Les sacs de couchages roulées au dessus du phare et les bagages réduits à peu de choses témoignaient de l'invasion estivales de ces descendants de rameurs de knorrs. Les chassis étaient rigides, les pneus arrières de bagnoles à peine gonflés faisant office de suspensions. Pas d'autocollants de rassemblements motos mais ceux de pays sur les sacoches de cuir patinées par le temps. Déchiffrant parfois avec peine, j'interpellais en criant mes parents sur leur signification.

C'était plus beau que mon vélo rouge, même quand je mettais une pince à linge avec une carte à jouer chippée à ma mère pour faire du bruit dans les rayons. Et puis il y avait cette odeur d'huile, de gomme, de moteur chaud.

Plus tard j'aurais une maquette d'électra glide 70 à tête de pelle bleue métal à valise et sellerie blanche, j'afficherai dans ma chambre une carte postale envoyée par ma cousine de chopper californien or et noir à réservoir cercueil et guidon bracelet torsadé. Plus tard encore j'aurai des motos pour de vrai, mais avant, bien avant, y avait eu cet été soixante seize.


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