Boire un café chez Totor

   
     Le milieu de matinée s'annonce pas mal, les nuages sont là mais tenus en respect par un petit vent océanique qui laisse la place aux rayons de ce soleil automnal.
Le rite est reposant, d'abord pousser la bécane dehors, la remettre sur la béquille centrale, dégommer les cylindres à coup de kick, tirer les starters, droite puis gauche, contact, démarreur.
Le bicylindre s'ébroue sur un filet de gaz puis adopte son bruit de deux chevaux caractéristique, je n'ai jamais réussis à me résoudre à rouler avec une machine récente qui tient plus de l'électroménager ou du tupperware que de la motocyclette, pas par principe, par ennui surtout, avec autre chose je m'ennuie.

Je sors du patelin à allure tranquille, la petite route serpente entre les vignes puis se faufile entre les coteaux et la vallée de la Loire. les feuilles mortes cernent le bitume dans les virages sans pour autant que le reste de la route ne soit trop vicieux au niveau de l'adhérence, mon visage se refroidit, surtout mon nez, mais les dix minutes de trajet ne suffiront pas à entamer le belle humeur qui me fait fredonner au rythme des pistons dans les cylindres.

Généralement je me gare sur le parking juste à côté, il est toujours rempli comme un oeuf de voitures mais pour un deux roues, ça passe tranquille à côté des pissotières publiques en ciment qu'une commission municipale n'a pas encore supprimé pour cause d'obsolescence. Le café fait l'angle de la rue commerçante de la ville et de celle qui mène aux quais et à l'église Saint Maurille où depuis quelques années le propriétaire a fait poser une terrasse en bois. Il s'appelle peut être "café des sports" ou "aux amis réunis", je ne sais même pas, mon père et avant lui mon grand oncle l'ont toujours appelé "chez Totor", même si je n'y ai pas trouvé trace de ce nom  sur la façade, peint à même le tuffeau comme on le voit encore parfois ailleurs.

La terrasse permet un zoo de qualité sans pour autant y subir la presse du monde de la place du marché. On peut y prendre un café et faire semblant de lire un livre pour que le bistrotier comprenne qu'on va camper ici sans qu'il nous importune.
A l'automne les passants optimistes s'obstinent à rester peu vêtus, de curieux assemblages s'opèrent dans les goûts vestimentaires sans pour autant avoisiner l'énigmatique concept de "mi-saison" cher à bon nombre de conversations féminines.

Un couple de personnes âgées essouflés par la longueur des commerces à arpenter s'essaie à prendre quelque chose de chaud à la table à côté, elle n'est pas contente qu'il ait voulu se garer aussi loin de la place de l'hôtel de ville où a lieu le marché, et puis elle n'aurait pas dû prendre sa grosse écharpe d'hiver, pas simple la vie....Lui protège sa calvitie d'une casquette de montagne en laine foulée pour s'épargner une casquette plate par trop désuète et ronchonne en sirotant un demi tout de même bien plus rafraîchissant qu'un chocolat chaud même s'il n'est que dix heures et demi.

Les passantes sourient à cette conversation menée à la cantonade et enrichies de gestes et de sous entendus riches de nombreuses années de vie commune.
Les gens pressés roulent leurs cabas en creusant le trottoir de leur talons, les brushings permanentés aux teintes grises tirant sur le violet oscillent malgré tous les efforts des professionnels. 
En face, la vendeuse de l'ébénisterie s'affaire dans le magasin faute de clientèle, surveillant du coin de l'oeil le noeud de son foulard de soie, sûre du strict classicisme de ses codes vestimentaires.

Et puis il y a la gestuelle des automobilistes qui ne trouvent pas de place sur le petit parking d'à côté, certain poussant l'énervement jusqu'à vociférer dans la solitude de leur espace clos, surveillant malgré tout qu'on ne les surprennent pas dans ce mouvement d'humeur aussi vain que pittoresque.
L'arrivée des ouvriers se mêlant aux retraités déjà accoudés au comptoir à l'intérieur sonne la fin de la récréation et l'heure du retour avant que les enfants ne sortent de l'école.

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