Horizon

     Y a pas, j'adore cette vue du troisième étage à l'aube, surtout de la fenêtre de cette chambre. La tasse de thé réchauffe mes mains, ma nuque est raide du manque de sommeil de cette fin de nuit, et là bas, au loin, le jour va bientôt pointer le bout de son nez.

Je reste sur le côté pour ne pas gêner Marguerite qui profite du spectacle. Marguerite, c'est surtout le soins palliatif du 9, une histoire de fin de vie de plus pour ce service de médecine d'un petit hôpital périphérique de province. Presque un non événement.

On n'est pas dérangé tous les deux, l'aide soignante avec qui je veille doit être en train de lutter contre le sommeil avec son tricot en attendant les collègues du matin, et je finissait toujours par là avant d'affronter le temps des transmissions et le retour du bruit et de la fureur du siècle.

Le palliatif du 9 gisait presque, soulevant à peine les draps de son corps décharné par des années de lutte contre la maladie et les traitements médicaux, les bras sur les draps encore marqués des stigmates des examens de la veille. La plomberie sort discrètement de sa chemise de nuit, irriguée par la perfusion et le pousse seringue électrique qui clignote comme un phare paumé dans la nuit. La veilleuse éclaire tout juste les gouttes qui égraine la vie qui s'écoule encore dans la petite vieille, encore perceptible par sa respiration faisant s'agiter imperceptiblement une aile du nez, l'autre irrité étant scotchée pour fixer la sonde naso- gastrique.

Marguerite avait été belle, ses yeux en témoignait encore, eux qui se souvenaient de ses formes rondes, de ses seins arrogants qui gisaient aujourd'hui de part et d'autres de son torse, de ses jambes qui aimaient les escarpins et la danse dont elle parlait encore avec malice il y a quelques semaines.

On n'était plus embêté par ses enfants. Ceux qui se souvenaient encore d'elle attendaient maintenant qu'elle fasse des pauses respiratoires pour se bagarrer au dessus de son lit les quelques boutons de culottes que la maison de retraite n'avait pas encore bouffé , institution qui avait déjà siphonné le prix de la vente de sa maison où elle avait été si heureuse toutes ces années.

Je suis bien là, elle ne peut plus parler mais on sait elle et moi que c'est aussi son moment préféré de la journée. Et puis c'est une journée de plus, un événement encore renouvelé après qu'elle m'ait léguée tant de souvenir de rires, de bon moments et d'épreuves surmontées.
Je me sent tellement riche de tout ça.
Il ne me reste qu'un fond de thé mais j'entends déjà l'équipe du matin, tant pis.
Peut-être y aura t'il un demain, je la regarde.

La mort est ordinaire, la vie reste un miracle de chaque instant.



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