La Force par la Joie


     Le beau temps est là, avec son injonction environnementale à l'estive en troupeau, alors autant y répondre pour en comprendre quelque chose. Donc on choisira une station balnéaire fréquentée, un camps offrant tout le confort moderne communément admis comme nécessaire, un temps de trajet limité pour s'épargner un trop grand nombre de fois la question "c'est encore loin la mer?" dès la portière claquée. Curieusement les ralentissements incessants pendant la dernière heure de trajet ne m'importunent pas. L'observation de véhicules climatisés surchargés de bagages et de familles mangeant sur le pouce sur des bords de routes plus ou moins aménagés suffit à me divertir. On voit les gens soupirant et gesticulant derrière leur pare brise de voitures à l'arrêt, ça doit être ça le plaisir de partir en vacances.


A l'arrivée la mer est là sous un ciel d'orage, ça bouchonne à l'entrée du camps orné de panneaux aussi kitsch qu'un temple indien. La population répond à un code vestimentaire des plus strict composé de culottes courtes de maillots de corps et de sandales variées. Les hommes bombent le torse et font montre d'une assurance d'alpha-mâle parfois quelque peu décalée par rapport à leurs abdominaux soignés au houblon assorti à leurs mollets de coq. Les femmes minaudent et invectivent une progéniture en réajustant des décolletés qu'elles seule savent évaluer d'un regard chez les autres entre le trop et le trop peu.


Une fois l'enregistrement effectué au centre de tri et la barrière franchie on sent la fin du règne de la toile voire de la carriole et l'avènement du baraquement. C'est taillé au cordeau, organisé au carré, les façades en imitation de bardages bois peints en blanc ou en gris en rappellent d'autres. Les villages de toiles improvisés des premiers congés payés qui ont perdurés jusqu'au début des années soixante dix sont loin, ici tout est bien rangé et organisé, on peut même s'abstenir de franchir la clôture pendant la durée du séjour.


Au fil des jours passés à lire à la terrasse de la cabane-tout-confort-comme-à-la-maison qu'on nous a fournit, j'ai pu voir les rites se dérouler, les aller et retour à la piscine bondée, à l'épicerie du camps pour chercher la baguette du matin, au terrain de jeu pour que les enfants se divertissent. J'ai vu des hommes  bomber leur torse nu et afficher des signes ostensibles de bronzages en claquant les fesses de leur compagne corsetés dans un micro-short sans qu'elle n'exprime la moindre expression de surprise à part réajuster leur débardeur qui aurait pu ne plus remplir son office. J'ai vu des exhibitions de barbecues et d'apéritifs qui auraient pu servir de publicité pour une agence de voyage ou un manuel de pensée positive.

C'était bien, les enfants se rodaient à la rencontre de l'autre et testaient leur capacité à aller et venir dans ce périmètre délimité, ils se goinfraient de l'espace aquatique où toute une organisation familiale se mettait en place, du tour de garde à la surveillance du barbotage. Le soir le repli cathodique était le plus fréquent, la religion la plus pratiquée en Europe ne pouvant pas être délaissée.

Par curiosité, nous avons poussé l'audace jusqu'à la plage, déjouant la surveillance de nos gardiens en franchissant la barrière du camps. Munis de sièges pliants et d'un parasol que je trouvais bien assorti à ma casquette plate et à mon bouquin, nous avons trouvé le sable quasiment vide d'estivants. Conquérant cet espace vierge en plantant comme un étendard notre parasol, assis sur le pliant en lisant distraitement, j'ai savouré cet espace improbable agrémenté d'algues flottant au gré des vagues qui me chatouillaient lorsque je faisais le plein des seaux pour la construction de châteaux de sable.
Quelques vieilles peaux ruinées par trop de brûlures du soleil promenaient leur paréo phosphorescents à l'abri de couvre-chefs improbables, il y avait même des indigènes qui s'étaient aventurés hors de l'abri de leurs volets clos pour pêcher à pied ce qu'ils n'allaient tout de même pas laisser saccager par les touristes.

Sur la route du retour je me suis dis que je l'avait fait, j'avais passé des vacances comme tout le monde et ça avait été riche en apprentissages et en divertissements. Je me suis dis aussi que le rural que je suis n'avais toujours rien compris à la nécessité du vivre ensemble et que du coup je pouvais continuer à me passionner pour les espaces moins peuplés aux infrastructures touristiques approximatives ou inexistantes.








Commentaires

  1. Braavoo, c'est toi qui as "raison" car je m'identifie pleinement à ton cheminement et non à celui de l'ambiant...

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