Promenade



On peut apprécier la motocyclette comme véhicule pour se rendre à son travail, pour sa capacité récréative, son invite à la méditation, au minimalisme;
quelque chose de la pratique du zen en somme.
Ces sorties quotidiennes vous aident à prendre en compte votre environnement, les contraintes du climat, affinent votre technique du pilotage, créent les automatismes propices à la survie lorsque l'impondérable arrive.

Cet engin lorsqu'il est de grosse cylindrée n'est plus un moyen de transport depuis les années cinquante et la naissance des voitures populaires. Avant, la grosse cylindrée servait à être attelée à un panier adjacent, ceux qui n'avaient pas les moyens ou qui ne souhaitaient pas atteler se contentaient de petites cylindrées allant du huitième au demi litre de cylindrée. Dans la plupart des cas un seul cylindre faisait l'affaire, qui plus est quand sa course était longue.

L'argument de l'économie reste d'actualité hors pays développé soit 80% de la surface du globe. ailleurs, on peut s'interroger sur le masochisme du conducteur, son immaturité, au mieux son inconscience. Pourquoi avoir froid, risquer l'humidité, un équilibre précaire à l'heure du chauffage et de la fermeture centralisée des portes?

Peut être pour être dans le paysage, pour sentir le froid, la pluie, le vent, pour prendre conscience de la dangerosité de la route, pour éprouver concrètement la vitesse. Toutes ces réponses ne sont pas satisfaisantes, j'en convient.

Alors sans plus s'interroger sur tout cela, autant partir se promener, grappiller quelques heures au quotidien aliénant en ayant eu l'impression de ne pas avoir été escroqué sur le temps qui passe. Se laisser bercer par le staccato du moteur, ne plus évoluer dans une bulle mais sentir ce qu'il y a autour de soi, ne plus regarder le paysage comme on regarde la télévision mais être dans le paysage.

Je n'aime pas trop employer le mot voyage dans nos richissimes contrées, tout y est tellement facile, sécurisé, balisé. C'est un peu comme le mot aventure, avec nos cartes par satellite, nos engins hypra-performants, nos ressources infinies et nos ceintures d'assurances en tout genre, le sourire me gagne à chaque fois que j'y pense.  J'ai surpris cette expression là sur le visage d'un vagabond croisant le regards de pèlerins se rendant à Compostelle.

Avec leurs tenues raides de neuves et leurs visages proprets, ils ont fait sourire le type accroupi à côté du porche de l'église qui faisait la manche avec pour seul trésor deux émeraudes enfouies au fond d' yeux sertis dans une gueule burinée par le soleil et les intempéries. Je ne sais pas s'il pélerinait lui aussi mais son sac usagé sentait l'outil pour tailler la route et ses brodequins témoignaient du marcheur. Les ongles étaient sales, l'anorak rapiécé grossièrement, mais pas de trace des ravages de l'alcoolisme, pas de slogan pitoyable sur un carton devant son bonnet posé à terre. Il y avait de la dignité dans sa posture, de l'empathie dans son regard. Une invite à l'aider dans son chemin, ni plus, ni moins. On avait affaire à du promeneur de grande classe, une belle rencontre.
Dans ces cas là  on se tais, on regarde, on écoute, on évite de faire s'évaporer cet état de grâce. 
J'étais un peu plus loin, assis à une terrasse et je dégustais l'instant présent.

Et j'ai fais le pari: pèlerin ou clochard?

J'ai souri quand, une fois les cloches sonnées et les paroissiens engouffrés dans l'abîme de l'église il a repris son bonnet. Patiemment il s'est levé, a pris son  sac par une bretelle qu'il a jeté sur l'épaule puis a poussé la porte pour assister à l'office.
La pudeur m'a interdit de pousser l'investigation plus loin mais je sentais que j'avais ma réponse.

Alors quand je me promène je m'efforce de ne pas jouer les voyageurs, les aventuriers. Je suis conscient que vu de l'extérieur il y a quelque chose de saugrenu à se divertir ainsi mais je n'ai jamais rien compris à la philatélie ou au football,  donc soyez indulgents.
Je me promène, juste je me promène.

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