Cap à l'est

     A l'hôtel, le réceptionniste avait été évasif sur les possibilités de quitter l'autoroute vers la Bordurie. Cette voie rapide longeait le sud des monts Rustikhs vers l'est jusqu'au pont qui enjambe l'Ethyl quand il met le cap au nord pour se perdre dans les montagnes qui ont données naissance au nom du pays. Avec la faillite de l'état, les zones rurales moins peuplées ont été abandonnées par les administrations, faisant reculer l'électrification, les routes goudronnées, l'accès aux communications à ce qu'était le pays au milieu du  XXè siècle. Même la signalisation promettait d'être aléatoire et les cartes dataient d'avant la privatisation puisque les cartographes actuels se passionnaient  pour les zones plus peuplées, le Rustikhistan ne recelant aucun trésor dans son sous-sol.

Hardiment donc, la boussole fixée au guidon, je prends la première sortie vers le nord pour quitter l'asphalte trop lisse de cette route que l'on voulait me condamner à prendre pour filer vers l'Eldorado consumériste bordure. J'avais chargé mon mulet en bidons d'essences vu ce qu'on m'avait décrit du pays profond et de ses indigènes. Les citadins de la capitale, Maboul, ne tarissaient pas d'anecdotes et de blagues sur ces arriérés profonds.

Pour le moment, la départementale est en bon état, les poteaux téléphoniques et électriques la longent tranquillement et le dénivelé qui s'amorce ne fatigue pas trop le moteur. Le paysage reste verdoyant malgré l'apparition des premiers monts mais toujours pas de gens ou de bétail. Les panneaux indicateurs commencent à montrer les stigmates de volées de plombs et les nids de poules font leur apparition. Si ma carte s'avère actualisée, je devrais bientôt trouver une bourgade qui tient lieu de chef lieu de commune depuis la réunification municipale qui a vu diviser par cinq le nombre de municipalité dans le cadre de la rationalisation des budgets de l'état. Les créanciers du Rustikhistan ont imposé la politique que ses citoyens n'ont pas su mettre en œuvre, entravés par des élus pléthoriques assis sur leurs prébendes.

J'arrive dans le village à la plupart des volets clos par l'absence d'habitants hormis une échoppe multi-service et quelques batisses défraîchies autour de la mairie qui a connu des jours meilleurs. La rue principale est vide,les héritiers de ces bicoques encore maisons de campagnes à la génération dernière ont quitté la capitale pour d'autres cieux plus cléments. Le gravillon qui borde la route devant le magasin est éventré de flaques d'eaux de la dernière averse, et je me gare à côté des deux pompes à essence qui ont dû connaître des carburants largement plombés.

La façade porte les traces des multiples franchises qui se sont succèdés à l'enseigne, la porte est de celles que l'ont doit forcer un peu en émettant un léger chuintement avant que la clochette qu'elle cogne n'émette un son aigrelet. La parabole promettait les images d'une chaîne d'information en boucle sur le côté de la salle qui sert d'estaminet. Au fond, les rayons de l'épicerie quelques peu dégarnis permettait au voisinage de sortir des saveurs du potager. L'occupante des lieux m'accueillit d'un bonjour de composition en servant un café à deux petites vieilles qui avaient terminé leurs emplettes. Je sais bien qu'il ne faut pas dire petites vieilles, ça fait condescendant, c'est mal. Mais dans un monde où il n'y a plus que des seniors, des mal voyants, des personnes à mobilité réduites, des minorités visibles, j'aime bien les vieux, les aveugles, les infirmes, les noirs ou africains, les orientaux, les asiatiques. Je suis pas sûr que ce soit de l'envie de transgression, juste de l'ennui.

Comme d'habitude quand on entre dans ce genre d'endroit, le silence règne et tout le monde s'interroge sur la raison de ma venue depuis qu'on ne picole plus dans les cafés et que le tabac devient une invitation au braquage. Pour rassurer tout le monde je file vers ce qui pourrait constituer mon déjeuner puis revient vers la caisse pour y ajouter un pain et payer. Les formules de politesse de circonstances ayant été échangé, je retourne vers ma moto sans qu'il n'ait été échangé d'autres propos, ce qui aurait été de circonstance par le passé, même si ce n'avait été qu'au sujet de la météo.

A une centaine de mètre, un batiment massif  orné d'un drapeau indiquait le dernier poste de gendarmerie sur la route, le fourgon tout terrain des pandores étant garé devant la mairie. Il était magnifique de gyrophares et de bandes réfléchissante, un vrai rêve de gosse matérialisé, à moins qu'il ne ressemble plus à un véhicule de science fiction, j'hésite encore.

J'avais eu envie de casser la croûte ici, mais finalement, le coeur n'y était plus, il me fallait autre chose, ailleurs. Le kick anima les cylindres du premier coup, normal, la bécane n'avait pas refroidi, et leur rythme me berça sur la route qui me menait vers ce que d'autres appellent nulle part.

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