Nuit d'hiver

     Il y a un vent fabuleux, la pluie forme un rideau oblique que le phare a du mal à percer, les rafales balaient régulièrement la moto vers la gauche de la route et me contraignent à donner du guidon pour rétablir un semblant d'équilibre.

Plus tôt dans l'après-midi, à l'aller, ma route avait croisé l'envol de deux corbeaux . Je n'avais pu m'empêcher de penser à Réflexion et Mémoire, les deux émissaires du dieu borgne qui cette nuit devraient être les seuls à voyager. Qu'on l'ai affublé d'une mitre et d'une soutane violette par les chrétiens puis d'un anorak rouge pour les besoins d'une marque de boisson étasunienne ne change rien à l'affaire, il a su traverser siècles et persécutions, toujours malin et énigmatique.

Alors ce soir je célèbre Noël à ma manière, au son du bicylindre à plat et de la tempête, comme une ode aux jours qui s'allongent.

Par le passé les voyageurs faisaient haltes ce soir là, dans les villages on coupait un arbre que l'on tronçonnait  de façon à ce que chacun puisse rentrer avec sa bûche pour la veillée en famille où l'on ne manquerait pas d'évoquer les exploits du père de tout. On sirotait tranquillement sa bière au coin du feu en mangeant du lard, des noix et des noisettes, des pommes aussi. C'était il y a bien longtemps, pour en retrouver le fil il y faut bien des chemins détournés par les usages vidés de leur sens.

Mais là ce soir je vais rentrer près des miens, attentif aux surprises de la petite route sinueuse qui s'offre à moi, la combinaison de pluie battue par les vents, le nez plein des odeurs de feuilles humides qui saturent l'atmosphère. Impossible de forcer l'allure, le rythme est ridiculement faible, mais quelles sensations!

Ce soir mon fils mettra dans le poêle la bûche décoré de guirlandes de papier, de houx et de nos voeux pour les jours qui rallongent à venir, semblant de rite pour un à venir.