J'ai pas pris de photos

     La brume recouvrait le vaste étang et le délimitait cachant le soleil levant qui allait finir par avoir raison d'elle. Les tentes étaient calmes, quelques rares ronflements témoignaient de la qualité de la soirée de la veille. La tente a vite été démontée, le paquetage tranquillement arrimé à l'arrière de la moto. J'aime autant les retours que les allers, c'est ce que je me disait en buvant mon thé. Le temps de serrer les mains des premiers levés et j'étais parti dans le soleil rasant, les lunettes de soleil débarrassées des moucherons écrasés de la veille. Mon nez avait pelé, le front un peu fatigué du vent et du soleil de cette fin de semaine.

J'enchaînait les virages tranquillement le temps que le moteur chauffe, j'aurais dû mettre mon chandail, le polo sous la veste ne suffisait pas à me maintenir au chaud en cette fin de printemps.
Je n'étais pas trop loin de mes bases, ce qui me permettait de flâner en route, de toute façon, avec un pneu lisse à l'arrière et un roulement de roue avant qui jouait un son de roulette de casino, il convenait de rester humble au niveau du pilotage.

Ce qui me plait le plus dans ces promenades (oui, je me promène, je laisse le mot voyage à d'autres ou à des contextes différents) , ce sont autant les anecdotes que le lustre de la destination ou la longueur du trajet qui pourrait donner lieu à une performance. Et là, en matière d'anecdote, j'ai été servi.

Parce qu'en traversant le Poitou, j'ai eu droit à des nuées d'orages carabinées, à faire se tortiller mon pneu arrière à la moindre prise d'angle, à faire s'avoisiner la visibilité à celle du fond d'une piscine dont l'eau n'aurai pas été renouvelé de l'été.
Aux premiers gros grains, l'expérience aidant, je me cherche un bas côté hospitalier pour faire une pause et enfiler une combinaison de pluie constituée en l'espèce par une tenue de quart de marin pêcheur agrémentant le paysage routier d'un rouge pétant que j'affectionne particulièrement.
Je me bâchais tranquillement quand derrière moi se gara un vieux cabriolet de la perfide Albion à la peinture verte merveilleusement conservée bien que paraissant d'origine.

Les occupant s'esclaffaient comme des bossus sous leurs chapeaux aussi désuets l'un que l'autre. Madame sortit déplier la capote avec force rires pendant que monsieur tendait la main pour la fixer rapidement au pare brise, les grains tombant drus . Le porte bagage arrière était chargé d'un sac de voyage en cuir brun tanné par les années et les intempéries. leurs dialogues étaient complices, leurs regards lumineux, le tout se passait dans une bonne humeur partagée. Devant mon large sourire et l'incongruité de ma tenue, le monsieur se fendit d'un pouce levé et la dame d'un petit salut de la main avant de partir sur les chapeaux de roues à peine la portière passager claquée.

Je revoit encore ses lunettes de soleil d'une autre époque et sa jupe droite tout à fait inadaptée à des vacances ou à l'installation dans ce genre de cabriolet très bas.
Je suis reparti tranquillement, traversant les nuées avec d'autant plus de stoïcisme que ses deux petits vieux m'avaient profondément émus.

Commentaires

  1. Nous aurons peut-être la retraite pour réaliser nos rêves de gosses, belle histoire.

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